Fenómenos naturales

[…] Une comédie drolatique aux multiples entendus et sous-entendus faite d’amusantes allusions et références à un pays qui n’a de cesse d’élaborer un récit national festonné par une idéologie post-communiste.

Text: Jean Perret

Et si « Niña Bonita » existait pour de vrai, puisque Fidel Castro lui-même l’évoque dans un discours où il dit les bienfaits d’un traitement idéal réservé aux vaches laitières. Ou s’agit-il d’une affabulation qui est partie prenante d’une propagande forcément mensongère, propre à cette terre dont il est à peine suggéré qu’elle pourrait être celle de Cuba ?

Cette « Niña Bonita » a toutes les allures d’une dystopie dans laquelle se réfugie une société aisée et oisive, passionnée par le tir au pigeon. Vilma, jeune infirmière, une espèce de rebouteuse bientôt réduite au chômage, n’en peut plus de son bonheur confiné en une campagne dans laquelle une vache, déchiquetée par un train, et un cochon, sont les seuls signes extérieurs de richesse. Certes, son mari est un ingénieur qui travaille à un projet permettant de rafraîchir l’air par manipulation de la météorologie, mais, lasses, les autorités n’ont pas porté attention à son projet ! Amoureusement enlacés dans les coulisses d’un théâtre aux sièges désespérément vides, ils partagent leur désir de vivre à La Havane dans un immeuble neuf et équipé des agréments de la vie moderne.

Mais c’est une triste petite exploitation agricole que Vilma quitte pour une herbe plus verte ailleurs et ce n’est pas moins qu’un typhon qui la transporte sur l’île enchanteresse de « Niña Bonita ». Enivrante expérience ! Elle saura faire valoir, toute femme qu’elle est, ses qualités de championne de tir au pigeon, tout en étant confrontée au machisme d’une arrogance avérée au sein d’une micro-société patriarcale dont elle comprend vite qu’elle est la prisonnière.

C’est ainsi l’histoire d’une île dans une île, la grande île que l’on voit à l’horizon, séparée par la mer infestée de crocodiles. Pourtant, Vilma partira à la nage pour retrouver le mari qu’elle aime. Elle l’a vu à la télévision ! Il est ce personnage héroïque du pays, qui exprime sa gratitude aux forces révolutionnaires armées, qui lui ont assuré de leur aide pour reconstruire sa maison et développer son projet de manipulation du climat local. L’appareil idéologique du pouvoir et ses stratégies de désinformation généralisée tournent à plein régime.

Ce premier long métrage du Cubain Marcos Dias Sosa, Prix du jeune public du Festival Filmar en América latina 2024, est une comédie drolatique aux multiples entendus et sous-entendus faite d’amusantes allusions et références à un pays qui n’a de cesse d’élaborer un récit national festonné par une idéologie post-communiste. Ce n’est pas le moindre des mérites du film que de dynamiter les archives vues en particulier au début du long métrage – au point de se demander s’il elles sont authentiquement de l’époque de la flamboyance de la Révolution cubaine ou reconstituées pour les besoins du Fenómenas naturales. Voir la séquence de villégiature en couleur pastel dans un ensemble vacancier de luxe où le peuple épanoui jouit d’une piscine et de réjouissances à l’envi. 

Des objets prosaïques accèdent au rang de symboles de la réussite sociale, la bicyclette, véhicule du pauvre, est réquisitionnée pour échafauder par effet de dérision une critique sociale, quant à ses roues, elles deviennent une façon de séduire aux dimensions rondement phalliques ! Et le cinéaste d’ajouter à sa cartographie la mémoire des guerres coloniales, source de douloureuses insomnies.

La démarche créative de Marcos Dias Sosa vise à plaire à de larges publics, comédie oblige. Son style est fluide, son montage harmonieux, l’efficacité narrative est soignée et les actrices et les acteurs s’amusent à être des espèces d’archétypes flirtant avec leur caricature. L’ensemble est confortable pour le spectateur, prenant grand plaisir à voir mille provocations, ces petites aiguilles souriantes et pénétrantes qui stigmatisent l’état de cette république issue de la révolution de 1953.

Le film est chapitré, le troisième, « Depresión tropical », sous-titré « Más allá del arco iris » (Au-delà de l’arc-en-ciel) annonce le terme joyeusement ambigu du propos. De quelle fin heureuse être convaincu ? S’agit-il d’un plaidoyer pour rester attaché à sa terre et y inventer d’impossibles machines du progrès, ou cet arc-en-ciel pointe-t-il de ses couleurs cette terre lointaine, porteuse des rêves qui a décidé depuis 2021 près d’un quart de la population cubaine à quitter le pays ?

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Fenómenos naturales | Film | Marcos Dias Sosa |CUB 2023 | 80’ | Filmar en América latina Genève 2024

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First published: December 02, 2024