En attendant les hirondelles

[…] Dans chaque histoire il est question d'une balance difficile, souvent impossible, entre les désirs et aspirations des individus et la pression d'une société qui ne leur laisse pas de marge de développement.

[…] Même si ce film frappe par la construction à la fois complexe et fluide de l'histoire, ou plutôt des histoires, qui se promènent dans l'Histoire en faisant un grand nœud, c'est avec la musique que ce nœud se colore des tonalités sombres et claires de la dialectique entre espoir et désespoir.

Ci-bas le Q&A (AUDIO) avec le réalisateur Karim Moussaoui en discussion sur son «En attendant les hirondelles» avec Jasmin Basic, curatrice de la section Focus.

Text: Giuseppe Di Salvatore | Audio/Video: Ruth Baettig

Podcast

Q&A at Solothurner Filmtage with Karim Moussaoui

Concept & Editing: Ruth Baettig

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Le titre du film de Karim Moussaoui fait référence à un printemps algérien qui n’a jamais eu lieu, donc à l’attente sans fin d’un changement politique qui semble à jamais suspendu. Mais cette charge politique du film ne se déploie qu’après-coup, comme conséquence d’un effet d’ensemble, d’une atmosphère générale qu’En attendant les hirondelles est capable d’exprimer avec force et précision. Dans ce qu’on pourrait appeler le “discours direct” du film, il n’est pas question de politique, mais d’une description minutieuse des différentes couches de la société algérienne. Chaque situation et chaque détail sont soigneusement traités dans des scènes qui s’articulent autour de trois histoires, histoires dont la particularité réussit à être dépassée par la mosaïque sociale et surtout psychologique ainsi composée. Le particulier et le général sont magnifiquement entrelacés, exactement comme le sont l’individuel et le collectif. Dans chaque histoire il est question d’une balance difficile, souvent impossible, entre les désirs et aspirations des individus et la pression d’une société qui ne leur laisse pas de marge de développement. Et dans chaque histoire il est question des relations de couple, véritable matrice du nœud entre l’individuel et le collectif : elles sont toujours difficiles, car incomplètes et insatisfaisantes dans leurs réussites officielles — les mariages, par exemple — ou ratées dans leurs spontanéités naturelles.

En attendant les hirondelles est également une fresque historique, où l’histoire passée — la guerre civile en premier lieu — ne cesse de hanter le présent et où le futur se replie dans une poignée d’espoir toute comprimée. Bien que la caméra nous balade souvent dans l’espace public, l’espace urbain, puis le paysage ouvert de l’arrière-pays, une dramaturgie marquée par une sorte de déterminisme nous donne une sensation de manque d’air, de difficulté à respirer. Pour cette raison, l’insertion au milieu du film d’une improbable scène de chant et de danse — on pourrait le qualifier de fragment inattendu de musical — est capable de communiquer une force émotive impressionnante et une beauté libératoire. Elle est tournée dans un paysage désertique, qui ainsi rêve de faire tabula rasa d’une société rigide et liberticide.

Musicalement, à cet interlude joyeux et intradiégétique fait pendant l’insertion extradiégétique, à plusieurs reprises, d’une cantate célèbre de Johann Sebastian Bach, Ich habe genug (BWV 82), qui a clairement pour fonction de détacher le spectateur des événements filmiques, et de le mener à une considération plus universelle. « Ich habe genug » est une expression ambivalente, entre « je suis comblé » et « j’en ai assez », et dit comment la vie peut être satisfaisante et insupportable en même temps. Dans tous les cas, il s’agit ici d’une variation sur le thème du désir de mourir, d’abandonner la terre pour le ciel, un thème extrêmement classique (et très exploité par la musique luthérienne) que Karim Moussaoui décline pour l’Algérie contemporaine comme un cri lyrique.

Même si ce film frappe par la construction à la fois complexe et fluide de l’histoire, ou plutôt des histoires, qui se promènent dans l’Histoire en faisant un grand nœud, c’est avec la musique que ce nœud se colore des tonalités sombres et claires de la dialectique entre espoir et désespoir. C’est la dialectique propre à toute attente. Et si la nature peut ce que les hommes ne peuvent pas, il faudra bien que les hirondelles reviennent un jour…

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En attendant les hirondelles | Film | Karim Moussaoui | FR-ALG-DE-QAT 2017 | 113’ | Locarno Festival 2017, Solothurner Filmtage 2018, Kino Xenix Zürich

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First published: February 15, 2018