De chaque instant
[…] Divisée en trois parties, l'œuvre représente différents seuils de la formation, avec un dévoilement progressif de la manière dont les étudiants éprouvent cette expérience. Dans un mouvement inverse, les traces de la présence du réalisateur et du film en train de se faire, rendus manifestes par les regards caméras notamment, s'effacent toujours plus.
[…] Véritable hommage à cette profession, «De chaque instant» étend la portée de son discours à la confrontation en général entre une situation telle qu'elle est appréhendée en dehors de toute contexte et lorsqu'elle est inscrite dans des circonstances spécifiques.
Text: Sabrina Schwob
Du jeu à la révélation de l'être
De chaque instant, dernier documentaire du réalisateur du notoire Etre et avoir, Nicolas Philibert, explore, de manière immersive, l'apprentissage de la profession en soins infirmiers. Divisée en trois parties, l'œuvre représente différents seuils de la formation, avec un dévoilement progressif de la manière dont les étudiants éprouvent cette expérience. Dans un mouvement inverse, les traces de la présence du réalisateur et du film en train de se faire, rendus manifestes par les regards caméras notamment, s'effacent toujours plus.
La première partie s'apparente à une forme de documentaire éducatif, se cristallisant autour des enseignements pratiques et théoriques – plutôt que sur des sujets singuliers – et plus précisément autour de l'acquisition de gestes techniques simples qui implique la création de situations fictives dans lesquelles les exercer. Les séquences, d'un seul ou plusieurs plans, ne sont pas narratives, mais se forment autour de la répétition, lors des travaux pratiques notamment, d'un même geste.
Le documentaire n'exclut donc pas en premier lieu la fiction : les élèves se mettent dans la peau de leur personnage avec une certaine distance – soulignant qu'ils sont en train de jouer – provoquant ainsi un effet comique. Similaire à un espace potentiel de jeu, où tout est fictif, les erreurs n'ont aucune répercussion négative. Les personnes sont saisies à l'image à partir d'une situation en particulier : il ne s'agit pas d'identifier leur psychologie. On s'attache toutefois aux personnages qui laissent transparaître beaucoup d'eux-mêmes au détour d'un mouvement, d'une réplique ou d'une maladresse.
A ce premier volet succède un deuxième qui donne à voir une série de portraits d'élèves durant leur stage. Cette confrontation avec la réalité des hôpitaux entrave la possibilité d'une simple application d'un savoir-faire ; celui-ci, pour peu qu'il soit déjà acquis, ne parvient à se réaliser, de par le manque d'expérience pratique. Il ne s'agit plus de jouer ici, la fiction disparaît et le stagiaire doit être professionnel. Si la crainte, le doute, le stress ne peuvent s'exprimer devant le patient, qui se montre déjà méfiant dans la plupart des cas, elle se traduit cependant par des regards baissés, des tensions dans la voix. Filmant frontalement les sujets, leur vulnérabilité apparaît comme étant autant la cause de leur lacune que de la présence de la caméra.
Tel un contrechamp psychologique de cette deuxième partie, la dernière partie porte sur le vécu des étudiants, à travers un entretien avec une personne responsable du stage et révèle comment l'environnement agit comme une source de tension. Loin de la première partie où les élèves sont préservés, lors de leur stage, la vie privée, le besoin d'argent, le manque de personnel, la mauvaise intégration au sein du groupe forment la toile de fond à partir de laquelle les infirmier·ère·s doivent pourtant privilégier le rapport au patient. Aucun indice ne laisse sentir la présence de la caméra dans le comportement des étudiants face à leur maître de stage, elle devient le témoin invisible d'une interaction dyadique. Grâce au témoignage, le latent, imperceptible ou presque lors de la deuxième partie fait surface. Par conséquent, la précarité de l'environnement dans lequel s'accomplit la formation est mise en lumière.
Véritable hommage à cette profession, De chaque instant étend la portée de son discours à la confrontation en général entre une situation telle qu'elle est appréhendée en dehors de toute contexte et lorsqu'elle est inscrite dans des circonstances spécifiques. Il semble de plus, de par les trois étapes qu'il contient, se définir comme un cinéma qui d'une extériorité face à son sujet tend vers la confession intime et se rapproche donc toujours plus de l'humain.
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Info
De chaque instant | Film | Nicolas Philibert | FR 2018 | 105’ | Locarno Festival 2018
First published: September 08, 2018