Bounty

[…] Une des plus remarquables qualités de ce documentaire est certainement la capacité de faire parler les images, dont les détails sont chargés d’une grande expressivité.

[…] Il y a une atmosphère d’ouverture, de tolérance, de bon sens non idéologique qui traverse tout le film et surtout ses protagonistes noirs, et nous avons l’impression que nous avons beaucoup à apprendre de ces personnes et de leurs expériences de vie.

Il n’y a pas que la migration qui caractérise les sociétés contemporaines ; il y a surtout les conséquences sur la longue durée de ce phénomène qui a toujours existé, conséquences qui impliquent la question de l’intégration — pour la première génération — (mais peut-être faudrait-il s’habituer à parler d’« échange » plutôt que d’« intégration »…), puis les questions de la réappropriation des racines, de l’identité métisse, voire de la possibilité de revenir au pays d’origine — pour les générations suivantes. Dans le contexte de ce phénomène majeur, Bounty illustre les conditions sociales et surtout existentielles des noirs qui ont grandi en Suisse. Il le fait de façon explicite mais jamais plate et, surtout, en évitant toute attitude didactique. Une des plus remarquables qualités de ce documentaire est certainement la capacité de faire parler les images, dont les détails sont chargés d’une grande expressivité. Shyaka Kagame fait ainsi preuve d’un esprit d’observation aigu tout en exploitant pleinement les ressources propres du média film, et la caméra de Camille Cottagnoud mérite certainement des louanges à ce sujet.

Kagame suit en parallèle le quotidien de plusieurs personnes, en réussissant à rassembler une grande quantité d’éléments et toute la variété des différents parcours d’intégration. L’efficace travail de montage de Janine Waeber permet de maintenir un équilibre fort dans la gestion de ce matériau pluriel. La pluralité est également manifeste dans l’organisation des opinions et des positions montrées. Malgré l’importance de cette pluralité, le fil rouge demeurera quand même une sorte de résistance que la couleur de la peau est capable de continuer à opposer, nonobstant les différents chemins d’intégration. Qu’ils veuillent renoncer à acquérir une identité « blanche », « suisse », en tout cas « occidentale », ou bien tout simplement suspendre toute question identitaire, il semble que nos personnages se trouvent obligés de se confronter à leurs racines africaines. Et cela peut être un plaisir ou bien un problème, un obstacle ou bien une vertu.

Noir dehors, blanc dedans, noire la peau, blanche la culture : « Bounty » donc. Mais aussi noir dedans et blanc dehors, c’est-à-dire élevé en Suisse avec la culture et la mentalité des Suisses, donc blanc en apparence, mais retrouvant — ou redécouvrant — une âme africaine au fond de soi-même. Ce renversement de la combinaison « Bounty » apparaît comme l’évolution propre du film, par rapport à laquelle nous nous demanderons aussi si la fascination que ces noirs suisses ressentent pour l’Afrique n’est pas finalement, au moins en partie, l’expression d’une valeur culturelle typiquement européenne…

Nous sommes habitués à voir sur les écrans du cinéma documentaire d’autres situations et d’autres problèmes concernant les noirs en Suisse. Aussi pour cette raison, ce que Kagame propose avec son enquête est la découverte d’une réalité malheureusement peu discutée mais importante, moins violente mais non moins dramatique, des vicissitudes de la migration : celle de la post-migration. Il y a une atmosphère d’ouverture, de tolérance, de bon sens non idéologique qui traverse tout le film et surtout ses protagonistes noirs, et nous avons l’impression que nous avons beaucoup à apprendre de ces personnes et de leurs expériences de vie. Il serait beau de penser que la « suisseté » qui est souvent discutée, recherchée, imaginée par ces personnes ne soit pas quelque part chez eux, mais qu’elle soit pleinement incarnée par eux. Il serait beau de penser que chaque suisse puisse être fier de dire que, à côté de Guillaume Tell ou Heidi, les héros de Bounty sont également « typiquement suisses »…

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Bounty | Film | Shyaka Kagame | CH 2016 | 80’

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First published: October 06, 2017