Billy

[…] Le troisième long métrage de Lawrence Côté-Collins rend ainsi à Billy son statut de protagoniste mais aussi celui d'artiste qui parvient à transcender ses angoisses et ses psychoses à travers les images et les sons.

[…] Bien que ses expériences fassent écho à la biopolitique ou encore à la nécropolitique appliquées dans les sociétés capitalistes avancées, la cinéaste évite de submerger Billy sous le poids politique et idéologique de ces discours.

« C'est ton cinéma. C'est un drame vécu, c'est une biographie », entendons-nous un policier dire au jeune homme dont le visage se cache dans le flou du signal vidéo. Il est habillé d'une combinaison blanche, assis dans une salle d'interrogatoire aussi petite qu'un placard, face auquel se trouve le policier couvert par des étincelles d'une cierge magique. Nous sommes en 2012 et le jeune homme s'appelle Billy. Il est schizophrène et il a commis deux meurtres il n’y a même pas une semaine. Un vrai drame certainement, mais le policier a quand même tort : aliéné, désespéré et dissocié, Billy n'est qu'un figurant dans sa propre biographie. Le troisième long métrage de Lawrence Côté-Collins rend ainsi à Billy son statut de protagoniste mais aussi celui d'artiste qui parvient à transcender ses angoisses et ses psychoses à travers les images et les sons.

La cinéaste québécoise a connu Billy alors qu'ils faisaient tous deux des courts-métrages et collaboraient ensemble. Cependant, leur amitié s'est brisée lorsqu'une nuit, sans aucune raison particulière, Billy l'a agressée. Déjà considéré comme quelqu'un d'excentrique et troublé, Billy est devenu encore plus agressif et violent, attaquant et menaçant d'autres personnes proches dans leur groupe d'amis. Plus tard, après avoir rompu tous ses liens avec Billy, la cinéaste a appris que celui-ci, en retournant dans sa ville natale, avait tué deux personnes. Après un certain temps, quand Billy lui a envoyé un télégramme par le biais de sa sœur, Lawrence a décidé de reprendre contact avec lui – sa motivation étant, dans une certaine mesure, de comprendre pourquoi il l'avait attaquée. Lawrence et Billy commencent à s'échanger des lettres et un jour, grâce aux indications de Billy, la cinéaste retrouve des valises remplies d'objets et de notes, mais surtout, de cassettes vidéo, dont la plupart montrent Billy se mettant en scène devant sa caméra.

Les matériaux visuels et sonores que la cinéaste découvre dans ses cassettes constituent la colonne vertébrale de son film. Les images tournées par Billy possèdent, volontairement ou involontairement, une dimension performative – comme s'il s'adressait à une audience imaginaire ou future, que Lawrence elle-même interprète comme un signe prémonitoire du destin qui a entraîné Billy et elle à se retrouver de nouveau. Malgré les traumatismes du passé qui l'ont irrévocablement blessée, la cinéaste semble trouver des points de convergence entre Billy et elle. Ainsi, son alcoolisme passé et ses expériences avec des détenus dans des prisons sont dépeints comme les filtres qui permettent à l'audience de se glisser, quoique partiellement, dans la psyché de Billy.

Nul doute que l'accessibilité et la communicabilité sont les enjeux principaux que le film sous-tend. Alors que la schizophrénie et le système carcéral qui dictent sa vie rendent Billy encore plus seul et abandonné, lui rappelant constamment qu'il est différent et que personne ne peut le comprendre, le film cherche à prouver le contraire – qu’il partage avec d'autres des souffrances similaires (comme l'alcoolisme de Lawrence) et que le langage du cinéma est, grâce aux principes de montage et au traitement de la temporalité, capable de dépeindre ses pensées envahissantes et confuses ; des voix hostiles qui lui murmurent ; des flashes d'images qui le rendent aveugle vis-à-vis de sa propre réalité. Billy est un film qui veille à ce que son protagoniste croie qu'il n'est pas le monstre que le système médical et pénitentiel et finalement lui-même pensent être.

L'un des mérites du film est qu'il ne cherche jamais à utiliser le cas de Billy comme un exemple pour construire ou prouver la validité d'un discours beaucoup plus général sur les systèmes que nous venons de citer. Bien que ses expériences fassent écho à la biopolitique ou encore à la nécropolitique appliquées dans les sociétés capitalistes avancées, la cinéaste évite de submerger Billy sous le poids politique et idéologique de ces discours qui, par leur nature, pourraient également exercer une violence sur son protagoniste, en lui ôtant toute spécificité et en le réduisant à un simple exemple parmi d'autres. Cependant, au fur et à mesure que le film avance, il est difficile de ne pas sentir que c'est elle-même qui dissimule parfois la voix de Billy. Certes, nous n'oublions pas la lecture des lettres qu'il a envoyées à Lawrence. Le fait que ces lettres soient lues par un acteur, avec des tonalités, des rythmes et des emphases bien définis, leur ôte toute la spontanéité que pourrait dégager la parole directe. Toujours est-il que nous sommes dans le registre du documentaire narratif, et par conséquent, les idées de Billy finissent par être ordonnées, quelque peu embellies selon les conventions cinématographiques.

Certes, la voix-off de Lawrence, telle une boussole, nous guide dans le trajet de son protagoniste. Néanmoins, ce guidage reflète également le parti pris de la cinéaste d'incorporer à son récit certains aspects de la vie de Billy et d'en exclure d'autres comme sa vie familiale, les témoignages des autres victimes, etc. Le fait que dans le synopsis officiel, la cinéaste mette l'accent sur sa rencontre avec Billy en tant qu'une de ses victimes, alors que cette rencontre n'est pas le seul point focal du film, est une preuve quant à la manière dont elle se positionne au sein du film.

Difficile de s'échapper à ce rapport déséquilibré entre l'artiste et son sujet, qui lui donne l'accord de raconter son histoire, en concédant, de manière implicite, que l'artiste peut l'altérer et l'adopter à sa propre expression artistique. La cinéaste cherche tout de même à restituer cet équilibre en accordant une place à Billy en tant qu'artiste, grâce à la présence des images issues de ses archives personnelles.

Tournées dans divers contextes et périodes, non seulement la créativité et l'énergie débordantes de ces images, mais aussi les signes d'alarme de ses crises schizophréniques qui s'y trouvent, nous frappent par leur force affective. D'une brutalité et d'une franchise soulignées par l'esthétique de collage et de lo-fi propres aux années 2000, ces images nous confrontent à Billy, pur et dur – ce qui rend l'acte final du film encore plus ambivalent. C'est là que Billy, avec Lawrence, passe devant la caméra, conscient qu'il sera vu, ses paroles seront entendues dans le cadre d'un film. Billy accorde à ses spectateurs une fin cathartique, résolue et forte en espoir. Reste à savoir dans quelle mesure ce dispositif filmique bien cadré et précisé, bien différent de la caméra volatile et imprévisible de Billy dans les images d'archives, sert à dévoiler sa vérité – ou finit par la dissimuler.

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Billy | Film | Lawrence Côté-Collins | CAN 2024 | 107’ | Visions du Réel Nyon 2024

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First published: April 30, 2024