Basim Magdy

[…] On oublierait presque notre réalité. J’aimerais bien, cette réalité, qu’elle soit tout aussi métamorphique, avec une temporalité au choix, où passé-présent-futur n’est qu’un seul espace et mots-sons-images qu’un seul temps. Que se passerait-il si nous pouvions changer nos sociétés à l’image des films de Basim ?

[…] Créons un théâtre grandeur Univers où l’ignorance voyage, où l’amnésie a une couleur et où la curiosité mène le jeu. Basim l’a fait, comme s’il s’adressait à des OVNI ou à des dinosaures, dans un langage ni parlé, ni écrit, mais visuel, sonore et vertigineux.

Ce que nous savons de l’Univers

Il est 8h20, le camion-poubelle passe dans ma rue, c’est la seconde fois, beaucoup de bruit toujours, la fenêtre ouverte, l’ordinateur sur les jambes, le bruit du clavier. J’ai bu deux gorgées d’eau en écoutant trois oiseaux rire, deux hommes se serrer la main et ma guitare est tombée à côté d’une chaussure blanche au milieu du tapis.

Je me suis endormie à 22h33 et j’ai regardé en boucle certains films de Basim Magdy. Six.

Une nuit étrange, j’ai tout fait pour ne pas oublier de dormir. Pourtant j’ai bien compris, règle numéro 6 pour comprendre le monde : « Ne te laisse jamais t’endormir, tu pourrais rêver » (13 Essential Rules for Understanding the World). Elles ont eu raison, les tulipes-à-visages de Basim, j’ai passé ma nuit à rêver, les yeux fermés.

J’ai d’ailleurs appris que si nous fermions les yeux, il était plus simple de se souvenir. Une histoire de zone cervicale et de mémoire visuelle. Alors ai-je rêvé pour de vrai ou étaient-ce des souvenirs de ces six courts métrages ? Ou encore, un phénomène entoptique particulier ? Aucune idée, peut-être étais-je partie encore plus loin. Je ne sais même pas si j’étais éveillée ou endormie, que sait-on vraiment de la réalité ?

Vous avez vu FEARDEATHLOVEDEATH ? « Parfois, ça me fait peur à en mourir qu'aucun de nous ne puisse faire la différence entre la réalité et le somnambulisme ». Alors peut-être que je n’étais pas si endormie, entre un visage imprimé sur la rétine d’un visage peint, « la mort [qui] galope entre les étoiles avec des yeux de rubis et des dents de diamants et une queue d’alligator » et maintenant, ces trois oiseaux qui chantent et qui parlent.

« La privation de sommeil est le Nouvel Acide » (New Acid) ? Et si, au contraire, toujours dormir était le nouvel acide ? Dans les deux cas nous finissons par rêver, halluciner ou entrer (qui sait ?) dans une transe où un banc de poissons se transforme en flamme de bougies, où « les couchers de soleil ressemblent à des feux d'artifice gelés piégés dans une lampe magique » (No Shooting Stars) et où fiction et réalité ne font plus qu’un, science imaginaire sans hiérarchie aucune. Pas de hiérarchie entre humain et non-humain ; l’océan parle, les animaux s’organisent et nous, nous observons sans comprendre, sur un air d’Albinoni arc-en-ciel en va-et-vient.

C’est ce que j’ai saisi pendant ces presque dix heures à dormir cette nuit : je peux dormir longtemps sans rien perdre ni gagner. Dans le sommeil comme dans la veille, la réalité se répète, la mort se présente à la vie, mais nous ignorons tout et ne comprenons rien. Notre instinct cherche pourtant à comprendre mais il n’existe pas ici, dans ces images qui bougent sur l’écran de mon ordinateur, là de suite : The Everyday Ritual of Solitude Hatching Monkeys et The Many Colors of the Sky Radiate Forgetfulness. Alors moi je veux bien continuer à les regarder puis à rêver de paysages inattendus, de hyènes, de singes, de girafes, de suricates et de paons aux langues de méduses manger des plantes en plastiques et des fleurs en origami, un peu comme dans FEARDEATHLOVEDEATH. On oublierait presque notre réalité. J’aimerais bien, cette réalité, qu’elle soit tout aussi métamorphique, avec une temporalité au choix, où passé-présent-futur n’est qu’un seul espace et mots-sons-images qu’un seul temps. Que se passerait-il si nous pouvions changer nos sociétés à l’image des films de Basim ?

Un jour, il m’a écrit que « ce que nous percevons comme la réalité est complexe et plein de couches, entre nos expériences sensorielles, nos rêves, ce que nous filtrons, ce que nous rejetons, ce que nous ignorons, ce que nous ne savons pas qu’il existe autour de nous et nos préjugés : beaucoup de ces couches se perdent ». Alors mettons ces couches toutes ensemble ! Mettons à l’honneur l’absurdité poétique ! Osons une imagination débridée, sans limite autre que celle imposée par la capture d’un réel visible par la caméra ! Créons un théâtre grandeur Univers où l’ignorance voyage, où l’amnésie a une couleur et où la curiosité mène le jeu. Basim l’a fait, comme s’il s’adressait à des OVNI ou à des dinosaures, dans un langage ni parlé, ni écrit, mais visuel, sonore et vertigineux.

La privation de sommeil n’est pas le Nouvel Acide. L’imagination l’est, rhizome sans fin et sans logique. Que la curiosité l’emporte et vous fasse rêver parmi des paysages spectraux et des images futuristes dans une autre dimension.

Il est 11h36, une mobylette gronde en bas de la rue, une sirène me chante un air de carbone et je ne suis qu’un point silencieux dans une mer de bruits couleur béton. Je ne sais rien de l’Univers.

 

Info

Basim Magdy | The Many Colors of the Sky | Short Films Programme | Art Basel Film Programme 2022 | Presented by Galerie König

FEARDEATHLOVEDEATH | 2022 | Super 16 film, transf. Full HD | 17’
The Everyday Ritual of Solitude Hatching Monkeys | 2014 | Super 16 film, transf. Full HD, | 13’
13 Essential Rules for Understanding the World | 2011 | Super 16 film, transf. Full HD | 5’
No Shooting Stars | 2016 | Super 16 and GIF animations, transf. Full HD | 14’
New Acid | 2019 | Super 16 and computer-generated sms, transf. Full HD | 14’
The Many Colors of the Sky Radiate Forgetfulness | 2014 | Super 16 film, transf. Full HD | 11’

More Info on the Programme 

Basim Magdy’s Website 

First published: June 14, 2022