Benjamin
D’Antonin Schopfer j’oserais dire qu’il est un acteur par plaisir et un réalisateur par nécessité. En tant que réalisatuer, après avoir consacré un film à sa relation difficile avec son père, il approche maintenant sa mère par un tour de force filmique et hautement intime qui libère la profonde douleur refoulée de la perte de son petit frère, Benjamin, quatre jours après sa naissance. Nous découvrons comment l’événement a bouleversé toute la famille en détruisant leurs liens profonds dans une spirale centrifuge d’isolement et de non-communication. Le film, alors, permet à la mère et au fils une véritable thérapie de réconciliation qui semble avoir besoin d’une forme ritualisée de déterrement et enterrement du petit Benjamin. Par Benjamin, le cinéma, en tant que médium de la visibilité, capable de toucher voire de montrer l’invisible, s’avère le lieu privilégié pour performer la ritualité.
Même si par moment il nous semble difficile en tant que spectateur.rices de trouver notre place dans un voyage émotionnel si intense et apparemment privé, Schopfer est capable de toujours nous rappeler la portée universelle des morts refoulées, dont les générations passées portent encore les blessures aujourd’hui. Le film reste hautement douloureux même s’il s’achève par une franche réussite thérapeutique ; nous saurons quand même en accepter la difficulté au nom d’un hommage de reconnaissance à tout.es les blessé.es de ces morts.
Quant à Antonin Schopfer, dont on apprécie le courage de se livrer sans (trop de) dissimulations face à sa propre caméra, il faudra encore lui demander ce qu’il en est de son rôle de réalisateur : si le Tonio Kröger de Thomas Mann avait raison de dire qu’« il faut être mort pour pouvoir être pleinement un artiste », la thérapie cinématographique d’Antonin pour la mort de Benjamin aura demandé le sacrifice de sa propre mort pour devenir réalisateur…
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Antonin Schopfer | CH 2024 | 48’ | Solothurner Filmtage 2025
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Text: Giuseppe Di Salvatore