Trading Paradise

[…] L’intelligence de ce documentaire réside donc dans la capacité de raccourcir la distance énorme qui traditionnellement sépare les récits des pays en développement de notre monde de tous les jours.

[…] Le film témoigne de cette attitude calme, de recherche, d’écoute, qui donne la parole à toutes les personnes impliquées, en évitant la polarisation entre victimes et bourreaux.

Daniel Schweizer va droit au vrai problème : là où nombre de documentaires s’attardent sur les conséquences des guerres, se plaisent dans l’exhibition des violences, s’acharnent sur le phénomène des migrations, Trading Paradise mène une enquête sérieuse et importante sur ce qui constitue la cause principale de tous ces maux de l’humanité contemporaine, c’est-à-dire l’exploitation des matières premières. Pièce par pièce, un mécanisme simple émerge, où les compagnies des pays riches profitent de leur puissance en termes de know how technologique et de disponibilité financière, pour s’installer dans les pays pauvres — bien entendu pauvres seulement d’argent, de démocratie, de certitude de la loi — et garantir de hauts dividendes à leurs actionnaires grâce à l’exploitation des ressources naturelles. Pour maximiser le profit et contourner les contraintes liées au respect de la santé des travailleurs, la corruption est une solution simple et efficace, dont il n’est pas compliqué de faire endosser la responsabilité aux politiciens locaux.

L’intérêt d’un film comme Trading Paradise n’est pas simplement de montrer ce mécanisme bien connu, qui ne décrit rien d’autre que la forme contemporaine du colonialisme, mais surtout de le faire en nous indiquant la connexion directe entre ce mécanisme et le citoyen suisse. Car l’exemple principal auquel s’attache Daniel Schweizer est celui de la compagnie internationale Glencore, dont le siège est à Zug, en Suisse. L’intelligence de ce documentaire réside donc dans la capacité de raccourcir la distance énorme qui traditionnellement sépare les récits des pays en développement de notre monde de tous les jours. Au réalisme des images documentaires s’ajoute ainsi un réalisme des faits, qui est alors capable de nous pousser plus directement vers un engagement politique. Par ailleurs, parmi les scènes les plus fortes du film je soulignerais celles qui montrent une délégation de politiciens suisses partis au Pérou pour enquêter sur les conditions des travailleurs dépendants de Glencore. Or, il est étonnant de voir l’asservissement de ces personnages à la dialectique politique interne à la Suisse, qui crée ainsi une confusion des opinions malgré l’évidence des problèmes, confusion dont bénéficieront seulement les compagnies exploitantes.

Si Daniel Schweizer a réussi à aller si loin dans son travail documentaire, jusqu’à obtenir une interview avec le PDG de Glencore Ivan Glasenberg, c’est grâce à sa capacité de garder une attitude aussi neutre que possible face aux crimes et aux injustices qu’il découvre. Le film témoigne de cette attitude calme, de recherche, d’écoute, qui donne la parole à toutes les personnes impliquées, en évitant la polarisation entre victimes et bourreaux. En outre, Schweizer sait également soigner la beauté de l’image, sans pour autant tomber dans l’esthétisation. L’efficacité de l’image demeure fonctionnelle au récit documentaire, auquel contribue largement le magnifique travail de montage. Nous nous faisons une idée assez claire de la situation après le visionnement du film, tout en en reconnaissant la complexité. Garder à distance le journalisme de tabloïd et faire preuve d’une grande efficacité cinématographique : voilà ce qui fait de Trading Paradise un bon (et rare) exemple d’équilibre entre émotion et information, et donc un vraie arme à utiliser pour montrer voire démontrer les schémas les plus pervers de l’économie globale qui nous implique tous.

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Trading Paradise | Film | Daniel Schweizer | CH 2016 | 78’ | FIFDH Genève

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First published: March 17, 2017