City of the Sun

[…] Une vache se retrouve bloquée dans un trou, son mufle dépassant à peine de la prison de ciment pour respirer : Rati Oneli a le don de la vision, et n’a pas besoin des mots pour exprimer avec précision la réalité qu’il documente.

[…] À ce propos, il faut louer le magnifique travail de montage réalisé par Ramiro Suárez, qui a réussi à donner à la narration cette même vitalité qui ne cesse d’émerger des habitants de cette ville perdue au fond d’une vallée que le soleil paraît ne jamais atteindre.

[…] Sans tomber dans la nostalgie du communisme, la référence au philosophe italien devient un memento vivere capable d’illuminer la ville de Chiatura de son intérieur, depuis l’humanité qui y vit et y résiste.

Les mines de Chiatura, dans la région d’Imereti en Géorgie, ont constitué une des plus grandes réserves de manganèse au monde. Découvertes en 1879 par le poète géorgien Akaki Tsereteli, une figure importante du mouvement de libération nationale en Géorgie, puis exploitées par des groupes industriels allemands (Krupp) et américains (Harriman), leur destin soviétique a commencé très tôt, car le jeune géorgien Joseph Stalin en personne avait convaincu les mineurs de rejoindre les rangs des bolcheviques. Aujourd’hui c’est une société géorgienne subsidiaire du groupe britannique Stemcor qui assure l’extraction de manganèse. Mais ces éléments historiques ne sont présents dans City of the Sun qu’indirectement ou, plus précisément, en état de ruine.

Dans ce film, au lieu d’informations historiques nous découvrons tout simplement la réalité d’une ville apparemment endormie, abandonnée. Mettre les ruines en premier plan constitue toujours un formidable exercice de vision de la réalité matérielle du paysage. Bien que l’usage du manganèse produise souvent du rouge ou du violet, City of the Sun est dominé par le gris, le gris du béton : un stade, une usine, un vieux théâtre, une vieille école, les édifices délabrés de Chiatura semblent occuper tout l’écran, jusqu’à le saturer. Une vache se retrouve bloquée dans un trou, son mufle dépassant à peine de la prison de ciment pour respirer : Rati Oneli a le don de la vision, et n’a pas besoin des mots pour exprimer avec précision la réalité qu’il documente.

Malgré ce paysage gris et asphyxiant, City of the Sun suit les fils biographiques de ses habitants, qui se révèlent porteurs d’une grande vitalité. Et d’un besoin sincère de culture : les deux personnages principaux suivis par Oneli sont Archil, un mineur qui dédie tout son temps libre au théâtre, et Zurab, un travailleur dans la récupération du fer qui enseigne la musique et anime de groupes de musique traditionnelle. À plusieurs reprises, nous voyons des enfants danser dans une école, jouer dans les rues ; nous voyons une vieille voiture faisant des courses solitaires dans de larges impasses ; bien qu’elles ne puissent suivre une diète adéquate, nous voyons deux filles s’entraîner assidûment à courir.

Oui, il y a toujours une adversité qui est exprimée par les images ; et, bien qu’il semble ne rien se passer de pertinent dans la vie quotidienne de Chiatura, Oneli a la capacité de laisser briller la vie dans sa lutte contre ces adversités du présent et du passé. À ce propos, il faut louer le magnifique travail de montage réalisé par Ramiro Suárez, qui a réussi à donner à la narration cette même vitalité qui ne cesse d’émerger des habitants de cette ville perdue au fond d’une vallée que le soleil paraît ne jamais atteindre.

City of the Sun, le titre est ironique, si l’on pense à l’absence du soleil et aux mines, voire sarcastique, si l’on pense à la référence à l’utopie de Tommaso Campanella, qui dans son œuvre homonyme avait imaginé une ville idéale où règne le communisme. La citation suivante clôt le film : « Ils sont riches, parce qu’ils possèdent en commun, pauvres, parce qu’ils n’ont rien en propre. […] Ils se servent des choses, mais ne les servent pas ». Sans tomber dans la nostalgie du communisme, la référence au philosophe italien devient un memento vivere capable d’illuminer la ville de Chiatura de son intérieur, depuis l’humanité qui y vit et y résiste. D’ailleurs, c’est depuis la captivité en prison que Campanella a écrit son œuvre… La musique monumentale de Jean-Philippe Rameau (de son Castor et Pollux) qui accompagne la citation finale de Campanella semble alors soulever le destin d’un pays souvent oublié, peut-être exploité, certainement incapable de faire face au poids de son histoire douloureuse et de son présent difficile.

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City of the Sun | Film | Rati Oneli | GEO-USA-QAT-NL 2017 | 104’ | Visions du réel Nyon 2015 (Focus Georgia), Black Movie Genève 2018

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First published: January 28, 2018